Dans l’arène
La fierté bernoise tient en deux lettres: Y et B. Qui ne rêve pas de fouler la pelouse du Wankdorf, vêtu·e d’un maillot jaune et noir? C’est en rouge que Patricia Michaud l’a fait.
L’autre jour autour d’un café, une copine romande domiciliée à Berne m’a raconté l’anecdote suivante. Peu après que son fils cadet a commencé à parler, il pointait souvent du doigt des affiches, objets ou doudous jaune et noir et s’exclamait joyeusement «ïïïbbbèèèè». Il a fallu des semaines – et l’aide de ses deux aînés –à la maman perplexe pour comprendre que son garçon de deux ans associait automatiquement ces deux couleurs à YB. Au cas où vous avez passé les 130 dernières années sur une île déserte: il s’agit de l’acronyme de BSC Young Boys, la légendaire équipe de foot de la capitale. De fait, demandez à un·e enfant vivant n’importe où ailleurs en Suisse à quoi lui font penser le jaune et le noir et il ou elle vous répondra «une abeille», «une girafe» ou «un banana split». Posez la même question à un·e petit·e Bernois·e et il ou elle hurlera «YBéééééé!!!» sur un ton surexcité. YB, c’est notre fierté locale. Ce club, nous l’aimons si aveuglément que même les fillettes bernoises rêvent de figurer un jour au nombre des «Boys». Et que personne ne semble s’étonner du fait que l’équipe féminine – qui, pour mémoire, disputera la finale de la coupe de Suisse le 20 avril prochain – se nomme Young Boys Frauen.
Effet «waouh»
Mon premier match d’YB (hommes), j’y ai assisté avant même d’habiter dans la Hauptstadt, avec des collègues de travail bernois. Auparavant, j’avais passé une demi-heure à écumer mes tiroirs afin de trouver un vêtement ou accessoire jaune à enfiler par-dessus mes jeans noirs. J’avais fini par dénicher un t-shirt fonctionnel (et sale) couleur Supradyn reçu lors d’une course populaire, que j’utilisais de temps en temps pour bricoler. Pour être honnête, je ne me souviens plus qui était l’adversaire d’YB ce jour-là, ni même si «nous» avons gagné ou pas. Ce dont je me rappelle comme si c’était hier, c’est de l’effet «waouh» ressenti en grimpant dans les tribunes. Moi qui avais déjà eu l’occasion d’assister à un match de l’Inter de Milan à domicile, je trouvais que le Stade de Suisse n’avait pas grand-chose à envier à l’imposant San Siro. Et même si, vu depuis tout là-haut, le spectacle avait quelque chose d’absurde – une vingtaine de figurines en train de courir après un ballon minuscule sur une pelouse – je me suis dit qu’avoir plusieurs dizaines de milliers de paires d’yeux rivées sur soi devait être sacrément impressionnant.
Depuis, je suis retournée ponctuellement au Stade de Suisse, ou plutôt au Wankdorf, puisque l’arène bernoise a retrouvé en 2020 son nom historique. Que ce soit pour y admirer les équipes masculine (parfois à guichets fermés) ou féminine (en général devant un public clairsemé) d’YB, voire pour un concert. Durant quelques années, j’ai même vécu en face du bouillonnant complexe sportif et commercial, admirant depuis mon balcon le cortège haut en couleurs des supporters s’y rendant. Et réprimandant occasionnellement l’un ou l’autre coquin se soulageant dans le jardin de notre immeuble. Ce lieu, je ne laisse pas de m’étonner du pouvoir de fascination qu’il exerce. Un bon exemple est celui de cet ami guitariste qui, de son propre aveu, n’est que très modérément amateur de ballon rond. Vous auriez dû voir son regard brillant le jour où il m’a annoncé qu’il allait accompagner un groupe se produisant sur la scène du Stade de Suisse! Je ne parle même pas de mon fils et de ses copains footballeurs, qui s’imaginent tous faire un jour une entrée fracassante sur la pelouse du Wankdorf sous les applaudissements, au rythme de «Hie» du groupe Wurzel 5.
Des regards envieux
Quand j’ai vu passer l’annonce, dans le chat de l’équipe de foot de la ligue alternative avec laquelle je joue très sporadiquement, pour un tournoi féminin 30+ organisé au Wankdorf, je n’ai pas hésité longtemps avant de m’inscrire. Me voilà donc, un samedi matin à 8h, en train d’attendre en compagnie de mes coéquipières que les portes du stade s’ouvrent. Un vigile arrive, un grincement métallique se fait entendre et voilà, l’accès à la mythique pelouse nous est autorisé. Certes, les tribunes sont désespérément vides. Seul·e·s quelques vaillant·e·s maris, compagnes et ami·e·s, tirant par la main l’un ou l’autre bambin encore à moitié endormi, sont venu·e·s nous encourager. Reste que ce jour-là, mes crampons plantés dans le gazon synthétique, je me suis pris l’effet «waouh» encore plus violemment dans la figure que la première fois, il y a tant d’années. Et même si j’étais vêtue d’un maillot rouge – et que ma prestation n’a pas marqué les annales sportives bernoises – cette expérience n’est pas restée sans effets: lorsque je leur raconte que j’ai joué au Wankdorf, les copains de mon fils me jettent systématiquement des regards envieux. Leurs papas aussi.
La multifonctionnalité du complexe du Wankdorf, c’est-à-dire la combinaison de surfaces commerciales et de prestations de services avec un stade de football, représentait à l’époque de sa construction le concept le plus moderne d’Europe. Après le Parc Saint-Jacques à Bâle, le Stade de Suisse était la deuxième réalisation de ce type dans notre pays. Ce caractère multifonctionnel posa des défis de taille, particulièrement en matière de sécurité. Il fallut effectuer de nombreuses simulations de mesures de protection anti-incendie et exercices vers les sorties de secours pour parvenir à respecter les prescriptions de sécurité exigées par les autorités.
Patricia Michaud est une journaliste freelance suisse romande. Depuis plus de quinze ans, elle habite et travaille à Berne. Dans cette chronique en français, elle raconte ses efforts – plus ou moins couronnés de succès – pour devenir une vraie Bärnoise.