Hors de l’espace
La Bärnoise ne se lasse pas de descendre au Zehendermätteli, oasis de tranquillité aux portes de la ville. Et tant pis si son sens de l’orientation en prend pour son grade.
«Notre jardin»: c’est ainsi que mon fils et moi surnommions le Zehendermätteli il y a quelques années, alors que nous vivions dans un appartement sans balcon. «Envie d’aller dans notre jardin aujourd’hui?», lui demandais-je de temps en temps, lorsqu’aucun programme fixe n’était agendé. Une quinzaine de minutes à vélo et une dizaine à pied plus tard, nous étions en train de pique-niquer paisiblement sous l’un des arbres ombrageant la généreuse prairie jouxtant l’auberge. Les heures suivantes étaient consacrées à construire des forteresses dans le bac à sable XXL, à aller saluer les deux ânes faisant office de mascottes locales, à renifler les dizaines de sortes de menthe différentes vendues dans la jardinerie et bien sûr à barboter dans l’Aar avoisinante.
Coin de paradis naturel niché aux portes de la ville de Berne, le «Zehendi» est l’un des endroits dans lesquels j’emmène le plus de connaissances venues me rendre visite dans la capitale fédérale. Outre son charme et la palette des activités – toutes simples – qu’il offre, ce lieu a cela d’assez improbable qu’on peut y accéder d’à peu près tous les côtés et par tous les moyens de transport: en bus, en ferry, à vélo, en courant, en randonnant, voire en nageant.
Entre cochons et jeunes mariés
Tout aussi improbables sont les rencontres qu’on y fait, des cochons se roulant joyeusement dans la boue pour le compte d’une recherche scientifique au jeune couple fraîchement marié, le site étant équipé d’un espace dédié à la célébration en plein air des unions. Non, passer en bikini (mouillé) le plus discrètement possible derrière un homme et une femme en train d’échanger leurs vœux au micro n’arrive pas seulement à des personnages fictifs du type Bridget Jones. J’en sais quelque chose.
Patricia Michaud est une journaliste freelance suisse romande. Depuis plus de quinze ans, elle habite et travaille à Berne. Durant cette deuxième année de publication, la chronique «Bärnoise» se met au vert. Le temps d’explorer la nature de proximité.
Reste que c’est sa localisation qui constitue – à mes yeux du moins – la principale particularité du Zehendermätteli. Planté dans un méandre de la rivière, à l’endroit où celle-ci s’apprête à faire une boucle presque complète, il donne littéralement le tournis à toute personne dont le sens de l’orientation est défaillant. Ce qui est, vous vous en doutez, mon cas.
Après avoir passé un temps ridiculement élevé sur Google Maps à essayer de comprendre le «fonctionnement géographique» du lieu, j’ai fini par jeter l’éponge et accepter le fait que lorsque je m’y rends, je dois renoncer durant quelques heures à mes repères spatiaux. Une perte de contrôle dont j’ai réalisé qu’elle contribuait grandement au plaisir de mon expérience sur place.
Mauvaise mère
Aussi voluptueux soit-il, ce lâcher-prise n’est pas toujours dénué de conséquences. L’autre jour encore, je me suis fait avoir comme une débutante par la configuration bizarre des lieux. J’étais douillettement installée sur l’une des petites plages situées à quelques encablures du restaurant, bien décidée à enfin avancer dans la lecture d’un roman commencé il y a plusieurs semaines. Après quelques tentatives – de plus en plus molles – de refus, j’ai néanmoins fini par céder à la demande insistante de mon fils et de mon beau-fils: aller observer à la nage les adolescent·e·s qui, un peu plus loin, s’élançaient d’une espèce de liane-balançoire, effectuaient un salto plus ou moins élégant, puis plongeaient dans l’Aar.
Nous voilà donc dans la rivière, essayant de ne pas trop écorcher nos pieds sur les pierres dénudées en raison du faible volume d’eau. Nous nous laissons porter, mi-nageant mi-marchant, jusqu’à une large plage de galets, sur laquelle nous nous échouons en riant pour admirer les Janes et Tarzans en herbe. C’est à ce moment-là seulement que je réalise que sans mon ordiphone, resté au sec avec toutes nos affaires, il me sera impossible de vérifier si un chemin serpente dans la dense jungle qui borde la plage sur laquelle nous nous trouvons.
Or, à part à pied, comment revenir en arrière jusqu’à notre point de départ? Certes, nous pourrions laisser le courant nous emmener plus loin encore, jusqu’à un endroit propice à la marche. Mais combien de temps faudra-t-il rester dans cette eau plutôt fraîche? Et de quel côté de l’Aar nous trouvons-nous, au juste? J’essaie de visualiser mentalement la carte consultée tant de fois en ligne, ce qui ne fait que m’embrouiller davantage.
Tout est bien
Si j’écris ces lignes, c’est que nous avons bien évidemment fini par revenir à bon port. Il a pour cela fallu traverser une première fois la rivière en diagonale à la nage, en évitant de nous faire déporter trop loin par le courant, puis grimper pieds nus au milieu des ronces, marcher sur une longue plage constituée de galets tranchants, avant de finalement traverser une deuxième fois l’Aar pour aboutir à notre point de départ.
Mes deux gaillards étaient grisés par cette aventure. Moi, pour être honnête, je n’en menais pas très large. Pour la première fois de ma vie, je me suis dit que passer ses après-midis d’été en famille sur la plage organisée et surveillée d’un hôtel «all inclusive» méditerranéen devait avoir du bon…
À écouter en se laissant porter par l’Aar: Naufrage (Wolfberg).
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