La montagne magique

Lorsque l’appel de la montagne se fait sentir, mieux vaut y répondre en moins d’une heure top chrono. Quitte à mettre inlassablement le cap sur le même endroit, à l’image de la Bärnoise.

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Avertissement aux proches de Patricia Michaud: un jour ou l’autre, elle vous forcera à monter au pied – ou au sommet – du Morgenberghorn. (Bild: Silja Elsener)

Elle va m’en vouloir durant des semaines. Non contente de révéler dans «Hauptstadt» notre «secret spot» commun, je le fais avant même que nous y soyons allées ensemble. Bah, je trouverai bien le moyen de me faire pardonner. Peut-être en lui préparant mes fameux cookies chocolat blanc-noix de pécan?

Lorsqu’on a des affinités avec la montagne – ce qui est mon cas -, que c’est en altitude, là où l’air semble à la fois plus dense et plus pur, que l’on parvient le mieux à se recentrer et à se ressourcer, on ressent logiquement le besoin de s’y rendre souvent. D’où l’intérêt de disposer d’un joli coin de montagne «de proximité». Mes critères personnels en la matière: que cet endroit soit situé à soixante minutes maximum de mon domicile en transports publics et desservi à une cadence horaire.

Patricia Michaud
À propos de Patricia Michaud

Patricia Michaud est une journaliste freelance suisse romande. Depuis plus de quinze ans, elle habite et travaille à Berne. Durant cette deuxième année de publication, la chronique «Bärnoise» se met au vert. Le temps d’explorer la nature de proximité.

Après m’être installée à Berne, il m’a fallu une bonne dizaine d’années pour mettre le doigt sur la perle rare. L’histoire d’amour a démarré il y a trois ans, à la fin de l’hiver. Une connaissance basée en Valais m’a proposé une rencontre au sommet, sous forme d’une marche journalière. «Au-dessus de Spiez serait un bon compromis géographique», m’a-t-elle indiqué. Quelques recherches m’ont appris qu’il existe justement une modeste station située dans la région, agrémentée de chemins de randonnée hivernale et d’une auberge où se réchauffer. Aeschiried était sur le point de faire une entrée fracassante dans ma vie.

Soyons honnête: humainement parlant, la journée fut loin d’être mémorable. Par contre, l’endroit m’a immédiatement séduite. Panorama attractif, bonnes ondes et – last but not least – fantastique buffet de gâteaux à la «Skihütte». Le week-end suivant, je remontais dans le car postal reliant en une quinzaine de minutes Spiez à Aeschiried. Cette fois-ci en compagnie de mon fils, de mon beau-fils et de la maman de ce dernier. Au programme: une balade, un pique-nique au soleil… et une bonne grosse tranche de tarte poires-caramel, bien sûr! Rebelote quelques semaines plus tard, à peine la belle saison arrivée. En solo et à une heure plus matinale, l’objectif du jour étant de gravir le sommet emblématique local, le Morgenberghorn. Malheureusement sans dessert en guise de récompense – la «Skihütte» est fermée d’avril à décembre – mais avec un café à la cabane Brunni sur le chemin du retour.

Débuter l’année du bon pied

Depuis, je monte fidèlement plusieurs fois par année faire un bain de bonnes ondes là-haut, par exemple sous la forme d’une randonnée automnale rapide avec mon frère, d’une virée en raquettes à neige avec une amie, ou encore d’une excursion combinant balade et luge avec mon fils. Quelle que soit la saison, la durée de la marche ou la compagnie, je redescends en plaine le cœur scintillant.

Mais c’est un 1er janvier que j’ai vraiment pris l’ampleur de la magie de l’endroit. Ce matin-là, soucieuse de me débarrasser au plus vite des traces du réveillon de la veille, j’ai décidé de monter souhaiter bonne année au Morgenberghorn. Mon état physique et mental laissant à désirer, je n’ai réussi à me traîner que jusqu’à la crête du Bircheberg, où j’ai déballé sandwiches, thermos et bouquin. Trois heures plus tard, j’étais toujours installée là, vêtue d’une simple brassière – le soleil était particulièrement généreux -, aussi zen et heureuse que si je venais de décrocher le gros lot à la loterie. J’ai alors réalisé avec étonnement que pour la première fois de ma vie, le calme intérieur ne découlait pas d’une activité physique mais du simple fait de m’exposer aux puissantes vibrations de la nature. Le titre du célèbre roman de Thomas Mann, «La Montagne magique», m’a alors traversé l’esprit.

La condition sine qua non

Vous l’aurez compris, ce petit paradis de moyenne montagne fait désormais partie des piliers sur lesquels repose mon bien-être. Au point qu’il est devenu un critère de sélection amicale. Tandis que je suis relativement tolérante en matière de goûts musicaux – je n’ai ainsi (presque) pas bronché lorsque j’ai surpris un pote en train d’écouter Eros Ramazzotti -, je suis intraitable en ce qui concerne Aeschiried: qui ne s’y sent pas bien est rayé·e illico de mon fichier contacts.

L’inverse vaut aussi. Il y a un an environ, une femme dont j’avais fait la connaissance dans le cadre d’une activité sportive m’a indiqué que son coin de montagne «de proximité» favori était le même que le mien. J’ai instantanément ressenti de la sympathie pour elle. Depuis, nous tentons désespérément de monter ensemble au pied – voire au sommet – du Morgenberghorn. Las, nos agendas respectifs en ont jusqu’à présent décidé autrement.

Si j’étais l’héroïne d’un roman de gare, je profiterais de la visibilité que m’offre la présente chronique pour lancer un appel du pied à cette copine et lui fixer rendez-vous, de façon théâtrale, tel samedi de juillet à 9h sur la voie 8 de la gare de Berne. Je n’irai pas jusque-là et vais me contenter de lui envoyer un texto proposant de ressortir une énième fois nos agendas. A condition bien sûr que les cookies chocolat blanc-noix de pécan fassent leur effet et qu’elle me pardonne rapidement mon indiscrétion.

À écouter en admirant le Morgenberghorn: Krauz (Aul)

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